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Du karst et des hommes
Environnement

Du karst et des hommes

jeu 20 Septembre 2018 - 00:00
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A La source du Pontet, le Gipek a réalisé tout un travail pour comprendre les phénomènes de crue dans le réseau.j

A La source du Pontet, le Gipek a réalisé tout un travail pour comprendre les phénomènes de crue dans le réseau.j

GIPEK - Guy Decreuse
L'image du lit à sec du Doubs a fait le tour des journaux cet été. Résultat d'une saison particulièrement sèche, cette anecdote ne surprend aucunement les spéléologues qui étudient les sols karstiques du département depuis des années.

Cet été une image rare a dominé l'actualité : la disparition du Doubs dans le sous-sol. Ce n'est pas une réelle surprise, sinon par son ampleur et sa soudaineté. On le sait depuis très longtemps, le sous-sol du département est un vrai gruyère de calcaire, et la célèbre anecdote de l'absinthe rejetée dans le Doubs et ressortie à la source de la Loue en 1901 l'illustre parfaitement. C'est le même phénomène qui a été à l'oeuvre cet été, les pertes de la rivière se retrouvant un peu en aval, et le Doubs reprenant ensuite son cours. C'est spectaculaire, certes, mais pas une surprise pour les spécialistes du sous-sol.

Certains se sont mis en tête d'étudier les mystères qui se trouvent sous nos pieds. « Il y a plus de 6 500 cavités répertoriées dans le département, explique Jean-Pierre Villegas, président du Gipek (Groupement pour l'inventaire, la protection et l'étude du karst). Partout, nous reposons sur des roches calcaires qui s'érodent avec le temps, ce n'est pas un hasard s'il n'y a pas de ruisseaux dans les prairies du haut Doubs : toute l'eau s'écoule en souterrain. Le karst donne l'image d'une « boîte noire » : on sait ce qui entre et ce qui en sort, mais c'est tout. Le Gipek s'est donné pour mission d'étudier ce qu'il s'y passe. » Le Gipek, c'est la part scientifique de la spéléologie : moins sportive, plus analytique, mais non moins passionnante. Ces bénévoles viennent ainsi enrichir les connaissances et en font bénéficier les différents organismes publics. « Nous faisons de la spéléologie d'intérêt public »

De la spéléologie scientifiques

Car loin de l'image du sport extrême et des faits divers tragiques, la spéléologie, c'est aussi l'observation et la connaissance du monde souterrain, de ses formations, de sa biodiversité, etc. Les membres du Gipek viennent ainsi sur leur temps libre analyser et enrichir les connaissances communes. A l'image d'un important travail opéré depuis quelques années à Mouthier-Haute-Pierre au niveau de la source du Pontet et de la grotte des Faux Monnayeurs qui la surplombe : un groupe de spéléologues, « les spitteurs fous », a ainsi réalisé tout un plan de coupe et mesuré les débits d'eau pour établir comment le réseau de galeries s'inondait en fonction du débit à la source. « Nous voulons faire une étude similaire dans le réseau du Verneau entre Déservillers et Nans-Sous-Sainte-Anne, explique Jean-Pierre Villegas. Ce réseau fait 35 km et est assez dangereux car il est sujet à des crues subites. Une étude sur le débit de l'eau aura un intérêt sportif si on a besoin de faire venir des secours, mais c'est aussi important pour quantifier la ressource en eau. Il n'y a actuellement aucune étude sur ce sujet. »

Un travail utile pour tous

La ressource en eau, voilà un point primordial dans l'action des spéléologues du Gipek, qui au gré de leurs expériences et de leurs observations, viennent enrichir les connaissances géologiques. Récemment, l'un des groupes doubiens a réalisé une coloration de l'eau du ruisseau coulant dans le gouffre de la Rifougnotte, autour de Vercel pour observer où il allait. « Les résultats ont été surprenants puisque le colorant est ressorti au puits de la Brême (aux alentours de Scey-Maisières, puis à la source du Maine. Cela modifie tout ce que l'on pensait du bassin versant de la Loue, pourtant situé à plus de 30km ! »

Ces connaissances sont des plus précieuses pour comprendre les parcours des eaux, et des pollutions qui y sont éventuellement liées. « Quand on a une pollution sur une source, ce n'est pas négligeable de savoir vers où chercher pour en trouver l'origine. » A leur niveau de bénévoles passionnés, les spéléologues du Gipek contribuent à préserver toujours plus et mieux l'or bleu.

 

Clément Pérot

Disparition du Doubs, un non événement ?

Pour les spécialistes, les pertes du Doubs autour d'Arçon et Montbenoit ne sont pas une surprise, elles ont juste mis à jour de nouvelles failles. Un mouvement inéluctable pour les membres du Gipek. « Nous sommes sur des temps géologiques, confirme Jean-Pierre Villegas, mais il est certain que le cours du Doubs se modifiera avec le temps. D'ici quelques millénaires, certaines zones seront probablement à sec. » Les aménagements comme les buses qui empêchent les pertes en dessous d'un certain débit d'eau ne permettent que de retarder l'échéance. Sans oublier leur impact : « Il ne faut pas oublier la Loue, si on bloque toutes les pertes, cela aura des conséquences ailleurs. » Pour ces spécialistes, le Doubs n'est pas le plus « menacé » : « La Brême risque de disparaître plus vite : tout un réseau de galeries est en train de se former. La rivière coulera toujours, mais 30 mètres plus profondément. » Rendez-vous dans 2000 ans pour vérifier ça...